L’École française d’Athènes se dote enfin d’une revue pour publier les résultats des recherches qu’elle mène sur la Grèce moderne et contemporaine. Si cette création constitue une mutation importante, elle n’est cependant pas inattendue puisque depuis 1846 nombreuses ont été les manifestations de l’intérêt de ses membres pour l’histoire récente du pays. Elle scelle la vocation scientifique de l’École d’être un institut de recherche fondamentale sur l’histoire de l’hellénisme, étendue jusqu’à aujourd’hui, dans ses relations avec le monde balkanique et la Méditerranée orientale. Ouverte à toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, la revue publie des analyses de données primaires acquises sur le terrain ou dans les archives et des synthèses qui éclairent le passé et le présent de la Grèce contemporaine en adoptant, selon l’époque et la thématique, le niveau d’échelle d’analyse le plus approprié (local, régional, national, impérial ou global).
Charles Picard en 1925 avait déjà envisagé cet aboutissement lorsqu’il écrivait dans son rapport d’activité :
Le directeur a repris la préparation d’un projet personnel touchant les études byzantines et néo-grecques, qui ne sauraient être exclues sans dommage du programme général de l’École française d’Athènes. On vise à fonder ainsi peu à peu en Grèce, sous les auspices de l’Institut supérieur d’études françaises, un centre nouveau d’études scientifiques, à la fois archéologique et philologique, se rapportant spécialement à la Grèce byzantine et moderne. La publication d’Annales où prendraient place à des intervalles non déterminés, les travaux des spécialistes groupés par l’École, est déjà prévue et s’organise.
En appelant de ses vœux un engagement de l’École dans ce domaine, Ch. Picard voulait rappeler la vocation initiale de l’institution, qui était l’étude de l’hellénisme et de ses mutations. Il entendait aussi offrir un débouché institutionnel à l’intérêt personnel que certains membres, comme Émile Burnouf, Edmond About, Léon Thénon, Gaston Deschamps, Victor Bérard, Georges Perrot ou Louis Roussel, portaient au pays dans lequel ils vivaient et sur lequel ils publiaient articles et essais hors de l’École. Engagé sur le Front d’Orient comme tant d’autres membres, Ch. Picard avait compris les enjeux d’une bonne connaissance de l’histoire post-byzantine de la Grèce. Sa participation aux enquêtes de terrain en Thrace orientale lui avait montré tout l’intérêt des recherches ethnographiques sur les cultes, les coutumes ou la culture matérielle d’un passé très récent en voie de bouleversement. Rentré en France en 1925, Ch. Picard ne put mener à bien son projet. Avant lui Albert Dumont (direction 1875-1878) avait déjà fait entrer les études sur la Grèce moderne dans le champ des conférences du nouvel Institut de Correspondance hellénique (1877) et Théophile Homolle (direction 1890-1903) avait poursuivi en ce sens. Mais l’époque était alors aux « grandes fouilles » et à leurs enjeux scientifiques et diplomatiques.
Aujourd’hui le Bulletin de Correspondance Hellénique, moderne et contemporain arrive au terme d’un processus institutionnel commencé en 1985 avec la réintroduction officielle du champ scientifique de la Grèce moderne dans le champ des recherches de l’École. Il s’est poursuivi en 1991 avec la création d’un poste de membre moderniste à l’École et d’un chargé des études modernes. De 1996 à 2001 un Bulletin des études grecques modernes et contemporaines est édité à l’École. Une dernière étape a été marquée par le décret statutaire du 10 février 2011 qui entérine l’existence d’une section moderne et contemporaine avec une direction des études propre et un nombre accru de membres. Parallèlement une programmation scientifique spécifique à la section a été mise au point depuis 2011 qui, sur le modèle de la section antique et byzantine, privilégie la production de données primaires issues d’enquêtes de terrain, de fouilles, de prospections ou du dépouillement de fonds d’archives, ainsi que la mise au point des outils pour les gérer. Pour accompagner cette évolution et publier les résultats qui en sont issus, une revue était nécessaire. Au temps des humanités numériques son format en ligne s’est imposé comme une évidence.
À la veille de son départ en Grèce, Fustel de Coulanges avait écrit à un ami : « Je ne cours pas à la recherche d’une marche oubliée de l’Acropole, je vais observer les hommes, et ceux d’autrefois et ceux d’aujourd’hui ». C’est le monde de ces « hommes d’aujourd’hui » que le BCH moderne et contemporain entend ainsi explorer.